Après la Seconde Guerre mondiale, l’affaire Finaly connaîtra un grand retentissement dans la presse et l’opinion publique. Elle fera écho alors à une autre affaire qui avait retenu l’attention en Italie en 1858, l’affaire Mortara. Mais la notoriété de ces deux cas n’est que la pointe de l’iceberg. A de nombreuses reprises au XIXe siècle, principalement en Italie, des enfants juifs seront baptisés sans l’accord de leurs parents puis enlevés à eux par l’Eglise. La plupart de ces « affaires » passeront inaperçues ou tomberont dans l’oubli.
Bien que, depuis le Pape Grégoire I, au VIe siècle, l’Eglise considérât que le baptême ne pouvait être forcé, qu’il devait être consenti par le baptisé, ou ses parents, des juifs étaient ondoyés de force. L’édit sur les Juifs du Concile de Tolède, au VIIe siècle, affirmait que les juifs baptisés n’avaient pas le droit de revenir à leur ancienne religion et reconnaissait à l’Eglise le droit d’enlever à sa famille non chrétienne les enfants baptisés sans l’accord de leurs parents. Cette pratique a conduit, durant le Moyen Age et l’Epoque moderne, à de nombreux cas d’enlèvements d’enfants à leurs parents puis de baptêmes. Un exemple qui est parvenu jusqu’à nous est celui d’un garçon juif qui, au XIe siècle, fut enlevé par un noble, baptisé, et qui devint moine, sous le nom de « Guillaume le Juif ». Pendant la période de l’Inquisition, d’autres enfants furent baptisés, avec leurs parents qui se convertissaient également pour échapper à la mort. Puis, en 1776, un Edit du Pape Pie VI interdit formellement l’enlèvement des enfants juifs pour les faire baptiser, sous peine de lourdes amendes. En 1747, le Pape Benoît XIV décida qu’un enfant, même baptisé contre la volonté de ses parents, devait être considéré comme chrétien et éduqué dans la foi de l’Eglise.
Au XIX e siècle, la position du Vatican est donc claire : bien qu’il soit interdit de baptiser un enfant contre la volonté de ses parents, si le baptême est considéré comme valide par l’Eglise, l’enfant doit être enlevé à sa famille pour être éduqué dans la foi catholique. Il ne peut, en aucun cas, rester parmi des infidèles. En 1825, le Pape Léon XII confirme les différentes décisions prises à cet égard par ses prédécesseurs, depuis l’Edit de Tolède.
Selon l’ouvrage de Gérard Da Silva, consacré à l’affaire Mortara, de 1814 à 1818, la police intervient 22 fois dans le ghetto de Rome pour amener vers la maison des Catéchumènes 17 femmes mariées, 3 fiancées et 27 enfants. Cette maison était destinée, depuis 1543, à préparer les non-catholiques au baptême, ou, dans les cas qui nous occupent, amener les Juifs de force à la foi catholique. Seules les histoires de quelques enfants sont parvenues jusqu’à nous, peu ont été médiatisées et presque toutes sont tombées dans l’oubli. Voici quelques exemples.
En 1814, Saponira de Angeli est enlevée à Reggio de Calabre. Une servante catholique l’avait baptisée alors qu’elle était malade. Une fois guérie, l’Eglise l’a enlevée de sa famille pour l’éduquer.
En 1844, à Reggio, Pamela Maroni, 19 mois, est enlevée par des gendarmes du Vatican. La servante catholique de la famille aurait baptisé le bébé. L’enfant est emmenée à la maison des catéchumènes et est élevée dans la foi catholique jusqu’à l’âge adulte, malgré les
protestations de ses parents, Abraham et Venturina.
En 1864, Joseph Coen, fils de Michel et Fortuna Coen, a une dizaine d’années quand il est en apprentissage chez un cordonnier chrétien. Celui-ci le convainc de devenir chrétien et l’emmène au couvant des catéchumènes. Ses parents portent plainte mais l’enfant ne leur est pas rendu, au prétexte qu’il veut devenir chrétien.
Puis, parfois, l’histoire se termine bien pour la famille : c’est le cas de l’affaire Montel, survenue en 1840. A son arrivée à Fiumicino, en Italie, Miette Crémieux, épouse Montel, originaire de Nîmes, accouche d’une petite fille. Le père, Daniel Montel, refuse alors l’offre d’un prêtre de baptiser l’enfant. La famille s’installe à Rome où, quelques jours plus tard, les
carabiniers se présentent pour emmener l’enfant sous prétexte qu’elle a été baptisée. Suite aux protestations de bonne foi du père, la petite Esther peut rester dans sa famille, sous
surveillance. Immédiatement, les parents s’adressent à Alphonse Rayneval, chargé d’affaire
français à Rome. Celui-ci prend contact avec le cardinal Lambruschini et le Pape Grégoire XVI. Ils promettent de mener une enquête et de punir les responsables, mais, avertissent que, si le baptême est reconnu comme valide, l’enfant devra être éduqué dans la foi catholique. En fait, le bébé avait été baptisé par une femme de Fiumicino qui avait assisté à l’accouchement. Femme de chambre à l’hôtellerie où séjournaient les Montel, elle prétendait avoir baptisé l’enfant car il se serait trouvé en danger de mort. En effet, en cas de danger de mort, tout catholique présent, même laïc, a le droit de baptiser. L’enfant est alors emmené à la maison des Catéchumènes. Pendant toute la durée de l’affaire, Rayneval tient informé Adolphe Thiers, président du Conseil de l’évolution de la situation. Dès le début de l’affaire, il se positionne d’un point de vue politique et du droit international et il aborde peu le côté religieux des choses. Il tient à défendre Montel en tant que citoyen français car il sait que, pour le Vatican, il s’agit d’un cas de conscience et qu’il ne pourra pas convaincre le Pape de rendre à une famille juive une enfant considérée comme catholique. Une fois l’enfant emmenée, Rayneval propose au Saint-Siège que la petite Esther, en tant que citoyenne française, soit envoyée en France, où sa famille pourra la récupérer. Après de nombreuses tractations, le gouvernement romain cède et le Pape accepte de remettre l’enfant au représentant français, et non à la famille, tout en formulant le vœu qu’elle soit élevée dans la foi catholique. Il décharge ainsi sa conscience sur celle de la France tout en sachant que le gouvernement français n’imposera pas une croyance plutôt qu’une autre à un de ses concitoyens. Alphonse Rayneval rend alors la petite fille à sa mère et la famille quitte immédiatement le pays en direction de Malte. Cette affaire aura pu se régler grâce à la diplomatie et sans grand écho dans la presse.
Ces événements de devraient plus se reproduire de nos jours car, depuis le Concile de Vatican II et la déclaration « Nostra Aetate », en 1965, l’Eglise catholique a redéfini ses relations avec les autres religions, dans un esprit de fraternité et de respect des différences.
Article paru précédemment dans la Centrale n°339, mars 2016, pp. 7-8.
Pour en savoir plus :
Gérard Da Silva, L’affaire Mortara et l’antisémitisme chrétien, Paris, 2008.
Commandant Weil, « Un précédente l’affaire Mortara », dans La Revue historique, 1921.
Comments